Alors que l’OMS/Europe publie de nouvelles statistiques recueillies dans le cadre de son enquête sur la santé mentale des infirmiers et des médecins – l’une des plus vastes études menées à ce jour sur la santé mentale et le bien-être des médecins et du personnel infirmier de toute l’Europe – le récit de Cecilia donne un aperçu des réalités quotidiennes qui se cachent derrière les chiffres.
Cecilia est infirmière dans le nord de l’Italie depuis 2012. En plus de 10 ans de travail dans le système de santé publique, elle a pu constater de visu l’évolution – et l’intensification – des pressions qui pèsent sur le personnel infirmier. Son expérience reflète bon nombre des problèmes mis en évidence dans le rapport sur la santé mentale des infirmiers et des médecins, depuis le manque chronique d’effectifs jusqu’à l’impact émotionnel des longues périodes de garde stressantes.
Une profession dont on se détourne
« Les gens s’en vont », dit-elle. « Et comme je peux le constater de mes propres yeux, ils quittent les contextes à haut risque ou d’urgence tels que les unités de soins intensifs et les salles d’urgence. Il y a quelques années, ces contextes étaient les plus attrayants. »
Pour Cecilia, la réalité quotidienne des services en manque de personnel et des ressources trop sollicitées signifie qu’elle travaille constamment sous pression. Les établissements de santé sont souvent contraints de fonctionner avec le nombre minimum de membres du personnel autorisé par la loi, explique-t-elle, alors que le nombre de patients et leurs besoins n’ont pas diminué. Résultat : des charges de travail plus lourdes, des gardes plus longues et moins de temps pour fournir le type de soins que les patients méritent.
Au-delà du manque d’effectifs, Cecilia relève un problème plus profond, à savoir le manque de reconnaissance et de développement professionnel pour le personnel infirmier. « Il existe un fossé béant entre les compétences réelles du personnel infirmier et ce qu’il est autorisé à faire, ou payé pour faire », dit-elle. « Nous acquérons des compétences grâce à l’expérience ou à la formation, mais notre salaire n’évolue pas. »
Selon elle, ce décalage empêche le personnel infirmier de s’épanouir professionnellement, et entraîne chez beaucoup de la frustration ou de l’épuisement professionnel. « Il est symptomatique », ajoute-t-elle, « que certains de mes collègues, moi y compris, ont poursuivi des études pour obtenir un deuxième diplôme ou une qualification, en partie parce que cela nous intéressait, et en partie pour avoir une autre option de carrière. »
L’impact sur la santé mentale
Cecilia explique également que des parcours professionnels opaques peuvent aggraver la situation. Les possibilités de carrière, dit-elle, manquent parfois de transparence. Souvent, on a l’impression que la formation et les efforts ne sont pas récompensés. Les carrières ne suivent pas un parcours linéaire qui correspondrait au dévouement et aux compétences dont le personnel infirmier fait preuve dans son travail. Cela fait naître une insatisfaction par rapport au rôle qu’il joue et nuit à la crédibilité du système, dit-elle.
L’impact sur la santé mentale est tangible. « En général, je rentre chez moi en me sentant fatiguée sur le plan psychique, ce qui, à mon avis, est normal dans un contexte d’urgence », explique-t-elle. « Mais lorsque vous vous sentez ainsi après presque chaque garde à cause de mauvaises conditions de travail, cela peut également avoir un impact sur vos interactions avec vos collègues. Et c’est alors que cela est mauvais pour la santé. Tout le monde est stressé et cela peut mener à des conflits. »
Les conséquences sont manifestes chez l’ensemble du personnel. « Au cours de l’année écoulée, au moins un cinquième de mes collègues ont quitté la profession ou ont opté pour un environnement moins stressant », déclare-t-elle. « La moitié d’entre eux environ étaient plus jeunes que moi. » D’autres, dont elle-même, envisagent de partir.
Ce qui a également changé, observe-t-elle, c’est le sens de l’abnégation qui définissait autrefois la profession. « Nous avons toujours eu à cœur de faire en sorte que les citoyens bénéficient de services de santé, quoi qu’il en coûte. Mais aujourd’hui, de plus en plus de personnes accordent la priorité à leur propre santé – en particulier à leur santé mentale – avant d’accepter des gardes supplémentaires. Le stress quotidien est si important que nous savons que nous ne pourrions pas récupérer si nous continuions à en rajouter ».
Malgré les difficultés, Cecilia considère toujours que l’on peut puiser des forces dans le travail d’équipe et la solidarité. « Le soutien que nous nous apportons les uns aux autres, en discutant des cas, en aidant les collègues dans des situations stressantes, c’est bien, mais pas suffisant », admet-elle. « Si une infirmière est déjà stressée ou fatiguée, comment peut-elle vraiment aider les autres ? »
Elle estime que le changement doit venir à la fois du mode de direction adopté et des politiques menées. « Les superviseurs peuvent aider en assurant de bonnes conditions de travail, en organisant régulièrement des réunions d’information et de renforcement de l’esprit d’équipe, en promouvant le rôle du personnel infirmier au sein de l’établissement », explique-t-elle. « Mais j’entends aussi parler d’infirmiers en chef qui quittent leur poste pour reprendre des gardes normales, donc le problème semble endémique. »
Un appel à l’action et l’espoir d’un changement
Pour Cecilia, ce qui ferait la plus grande différence, c’est « un suivi psychophysique régulier et le soutien de l’établissement », dit-elle. « Nous avons besoin de meilleures conditions de travail, de parcours de carrière mieux définis auxquels nous pouvons prétendre, et de salaires qui reflètent nos responsabilités. Le personnel infirmier est la main-d’œuvre la plus nombreuse dans le système de santé ; il fait la différence pour la santé des citoyens. C’est une chose dont je suis fière, malgré tout, et qui doit faire l’objet d’une reconnaissance. »
À l’heure où l’OMS/Europe s’apprête à publier les résultats de l’enquête sur la santé mentale des infirmiers et des médecins, Cecilia espère que les conclusions de celle-ci révèleront enfin clairement la réalité qu’elle-même et beaucoup d’autres vivent chaque jour, et que cela créera des occasions à saisir.
« J’espère que les résultats de l’étude conforteront et confirmeront ce que nous ressentons et inciteront les responsables politiques à prendre de réelles mesures pour améliorer nos conditions de travail et de santé mentale. »