L’Estonie a réalisé des progrès remarquables dans la réduction de la mortalité prématurée due aux maladies non transmissibles telles que les maladies cardiovasculaires et le cancer. Elle est l’un des 10 États membres de la Région européenne de l’OMS à avoir atteint l’objectif du Cadre mondial de suivi des maladies non transmissibles 2025 consistant à réduire de 25 % la mortalité prématurée due à ces maladies.
Malgré sa petite superficie et ses ressources limitées, l’Estonie a fait preuve d’un niveau d’engagement en faveur de politiques fondées sur des données factuelles, de la collaboration intersectorielle et d’interventions en matière de santé publique qui offre des enseignements inestimables pour la Région européenne de l’OMS et au-delà. Un rapport publié récemment par le Bureau régional de l’OMS pour l’Europe intitulé « Avoidable mortality, risk factors and policies for tackling noncommunicable diseases – leveraging data for impact » [Mortalité évitable, facteurs de risque et politiques de lutte contre les maladies non transmissibles – exploiter les données pour produire des résultats] met en lumière l’approche globale adoptée par l’Estonie en matière de prévention et de prise en charge des maladies non transmissibles.
Des politiques globales en matière de tabac et d’alcool
Le succès de l’Estonie dans la lutte antitabac et la réduction de la consommation d’alcool repose sur sa stratégie nationale. Lancée en 2014, cette stratégie a accordé la priorité aux interventions de santé publique, combinant mesures juridiques et campagnes de sensibilisation ciblées.
L’Estonie a mis en place une réglementation stricte sur le tabac, à savoir :
- l’interdiction des produits du tabac aromatisés ;
- l’interdiction de la vente à distance ;
- l’application de limites d’âge rigoureuses et de restrictions en matière de marketing.
Cette approche a permis non seulement de réduire la consommation de tabac, mais aussi de souligner l’importance d’aligner les politiques nationales sur les réglementations européennes. Or, l’Estonie est confrontée à de nouveaux défis avec l’apparition de nouveaux produits à base de nicotine, commercialisés de manière agressive auprès des jeunes. Comme le précise Riina Sikkut, ancienne ministre estonienne de la Santé, « les politiques européennes peuvent être beaucoup plus efficaces que les politiques nationales pour lutter contre ces produits ».
Pour réduire la consommation d’alcool, un sujet sensible sur le plan culturel en Estonie, on a dû recourir à des actions audacieuses. Entre 2014 et 2019, le gouvernement a pris les mesures suivantes :
- augmentations significatives des droits d’accises ;
- restrictions en matière de publicité ;
- limitation de la disponibilité de l’alcool.
Ces interventions ont entraîné une baisse constante de la consommation d’alcool et des problèmes de santé qui y sont associés. Or, les changements politiques intervenus en 2019 ont entraîné une réduction des droits d’accises, ce qui s’est traduit par une augmentation de la consommation d’alcool et des préjudices qui en découlent. En 2024, l’Estonie a recommencé à augmenter les droits d’accises, et d’autres hausses sont prévues pour les années à venir. Comme le souligne Riina Sikkut, « il est possible de parvenir à un consensus autour de la protection de la santé des enfants en veillant à ce que la prochaine génération bénéficie de ces restrictions ».
Lutte contre l’obésité et promotion de la nutrition
Malgré les progrès réalisés dans d’autres domaines, l’obésité reste une préoccupation croissante en Estonie. Les efforts déployés par le pays visent principalement à promouvoir une alimentation saine et l’activité physique à travers des initiatives telles que :
- la gratuité des repas scolaires et les programmes de distribution de fruits et de légumes ;
- les programmes subventionnés d’activité physique et de loisirs pour les enfants, en particulier dans les régions mal desservies.
Bien que ces mesures aient donné quelques résultats, les taux d’obésité globaux continuent d’augmenter. Les efforts visant à instaurer une taxe sur les boissons sucrées ont échoué à 2 reprises en raison de l’opposition politique. L’Estonie a plutôt opté pour des accords de reformulation des aliments avec les fabricants afin de réduire la teneur en sucre, en sel et en matières grasses des produits destinés à la vente, et met actuellement en œuvre un accord volontaire visant à limiter l’exposition des enfants au marketing alimentaire. Riina Sikkut reconnaît les défis à cet égard : « les efforts d’autorégulation déployés par l’industrie se sont avérés insuffisants, près de 70 % des publicités destinées aux enfants ne respectant pas les normes convenues ».
Renforcer les soins de santé primaires
En Estonie, le système de soins de santé primaires à bas seuil d’accès et sans frais à la charge du patient a contribué à réduire la mortalité due aux maladies cardiovasculaires évitable par des soins. Les directives cliniques garantissent que les patients reçoivent des soins standardisés et de qualité. En outre, les prestations pharmaceutiques proactives ont permis de rendre les médicaments essentiels comme les statines plus abordables de manière à ne pas laisser le coût constituer un obstacle au traitement.
L’Estonie prévoit d’intégrer à l’avenir des conseils nutritionnels dans les services de soins de santé primaires afin d’aider les patients à faire des choix de vie plus sains. « En ajoutant des spécialistes de la nutrition aux équipes de soins de santé primaires, on peut lutter plus efficacement contre l’obésité et les problèmes liés au mode de vie », fait observer Riina Sikkut.
Les enseignements tirés du succès de l’Estonie
Les résultats obtenus par l’Estonie en matière de prévention et de prise en charge des maladies non transmissibles soulignent l’importance d’adopter une approche globale fondée sur des données probantes. Voici les principaux enseignements à retenir.
- La collaboration intersectorielle : les stratégies de l’Estonie pour réduire la consommation d’alcool et de tabac ont impliqué la collaboration entre les ministères de la Santé, de l’Éducation et des Affaires sociales. Cette collaboration a permis de s’assurer que les politiques s’attaquaient aux causes profondes des risques sanitaires.
- L’équilibre entre les politiques nationales et européennes : l’alignement des stratégies nationales sur la réglementation européenne a renforcé leur efficacité, notamment en matière de lutte antitabac. L’exemple de l’Estonie illustre l’importance de la coopération régionale pour relever les défis transfrontaliers.
- L’adaptation aux réalités politiques : la volonté politique et les attitudes sociétales ont un impact significatif sur les initiatives de santé publique. L’Estonie a relevé ces défis en créant un consensus autour de la protection de la santé des enfants qui a trouvé un écho auprès du public et des responsables politiques.
- L’utilisation proactive des données probantes : l’engagement de l’Estonie en faveur de l’élaboration de politiques fondées sur des données probantes a permis au pays de mettre en œuvre des interventions dont l’efficacité a été prouvée. Cette approche a non seulement renforcé la confiance du public, mais a également permis d’obtenir des résultats mesurables en matière de santé.
La voie à suivre
Le chemin parcouru par l’Estonie témoigne du pouvoir de la persévérance dans le domaine de la santé publique. Malgré les revers, le pays continue d’innover et d’adapter ses stratégies, démontrant ainsi que même les petites nations peuvent réaliser des progrès significatifs dans la lutte contre les maladies non transmissibles. Riina Sikkut affiche un optimisme évident : « si l’on s’en tient aux données probantes et que l’on saisit les opportunités politiques, on peut améliorer la santé de tous ».
Le cas de l’Estonie est un modèle pour les autres pays qui cherchent à réduire la charge des maladies non transmissibles. En accordant la priorité à la prévention, en encourageant la collaboration intersectorielle et en alignant les politiques nationales sur les cadres régionaux, les pays peuvent garantir à leurs populations un avenir en meilleure santé. L’expérience estonienne prouve que des politiques efficaces, fondées sur des données probantes et adaptées aux contextes locaux, sont essentielles pour lutter contre l’épidémie de maladies non transmissibles.