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Pouvez-vous vous fier à l’IA de votre médecin ?

Des garanties juridiques et éthiques plus solides sont nécessaires face au développement de plus en plus rapide de l’IA dans le domaine de la santé, avertit l’OMS/Europe

19 novembre 2025
Communiqué de presse
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La Valette (Malte), le 19 novembre 2025

D’un point à l’autre de la Région européenne de l’OMS, l’intelligence artificielle (IA) aide déjà les médecins à détecter les maladies, à réduire le volume des tâches administratives et à communiquer avec les patients. Mais qui est responsable lorsqu’un système d’IA commet une erreur ou cause un préjudice ? Un nouveau rapport de l’OMS/Europe, intitulé « Artificial Intelligence in Health: State of Readiness across the WHO European Region » [L’intelligence artificielle dans le domaine de la santé : état de préparation dans la Région européenne de l’OMS], lance un avertissement : l’expansion rapide de l’IA dans le secteur des soins de santé se produit sans les filets de sécurité juridique fondamentaux nécessaires pour protéger les patients et les travailleurs de la santé. Basé sur les réponses de 50 des 53 États membres de la Région, il brosse pour la première fois un tableau régional complet montrant comment l’IA est adoptée et réglementée dans le domaine de la santé. 

« L’IA est déjà une réalité pour des millions de professionnels de santé et de patients dans la Région européenne », déclare le docteur Hans Henri P. Kluge, directeur régional de l’OMS pour l’Europe. « Mais sans stratégies claires, sans confidentialité des données, sans garde-fous juridiques et sans investissements pour une littératie en matière d’IA, nous risquons d’aggraver les inégalités plutôt que d’y remédier. » 

Des progrès impressionnants, mais des lacunes persistantes 

Si presque tous les pays de la Région européenne reconnaissent le potentiel de l’IA pour transformer les soins de santé, du diagnostic à la veille des maladies en passant par la médecine personnalisée, des différences et une fragmentation subsistent en ce qui concerne le degré de préparation. Seuls 4 pays (8 %) disposent d’une stratégie nationale pour l’IA dans le domaine de la santé, et 7 autres (14 %) sont en train d’en élaborer une. 

« Nous sommes à la croisée des chemins », déclare le docteur Natasha Azzopardi-Muscat, directrice de la division Systèmes de santé à l’OMS/Europe. « Soit l’IA sera utilisée pour améliorer la santé et le bien-être des personnes, alléger la charge de travail de nos travailleurs de la santé épuisés et faire baisser les coûts des soins de santé, soit elle pourrait nuire à la sécurité des patients, compromettre la protection de la vie privée et creuser les inégalités en matière de soins. Nous avons le choix. » 

Certains pays prennent déjà des mesures proactives. L’Estonie combine les dossiers médicaux électroniques, les données d’assurance et les bases de données démographiques au sein d’un système unifié qui prend désormais en charge les outils d’IA, la Finlande a investi dans la formation à l’IA pour les travailleurs de la santé et l’Espagne met à l’essai l’IA pour la détection précoce des maladies dans le cadre des soins de santé primaires. 

L’incertitude juridique reste le principal obstacle à l’adoption de l’IA

Dans toute la Région, la réglementation peine à suivre le rythme de la technologie. Près de 9 pays sur 10 (86 %) affirment que l’incertitude juridique est le principal obstacle à l’adoption de l’IA. Huit pays sur 10 (78 %) évoquent les contraintes financières comme un obstacle majeur. Par ailleurs, moins d’un pays sur 10 (8 %) dispose de normes de responsabilité pour l’IA dans le domaine de la santé, qui déterminent qui est responsable si un système d’IA commet une erreur ou cause un préjudice. 

« Sans normes juridiques claires, les cliniciens pourraient être réticents à s’appuyer sur les outils d’IA et les patients pourraient ne pas avoir de voie de recours bien définie en cas de problème », déclare le docteur David Novillo Ortiz, conseiller régional pour les données, l’intelligence artificielle et la santé numérique. « C’est pourquoi l’OMS/Europe exhorte les pays à clarifier les responsabilités, à établir des mécanismes de réparation en cas de préjudice et à s’assurer que les systèmes d’IA sont testés sur le plan de la sécurité, de l’équité et de l’efficacité dans le monde réel avant d’atteindre les patients. » 

L’IA est déjà à l’œuvre, mais les investissements ne suivent pas

Les outils d’IA sont de plus en plus présents dans les systèmes de santé de la Région. Trente-deux pays (64 %) recourent déjà à des diagnostics assistés par l’IA, en particulier dans les domaines de l’imagerie et du dépistage. La moitié des pays de la Région (50 %) ont introduit des chatbots pour s’entretenir avec le patient et le soutenir, tandis que 26 (52 %) ont défini les domaines prioritaires pour l’IA dans le secteur de la santé. Toutefois, seul un quart des pays a alloué des fonds pour une mise en œuvre dans ces domaines prioritaires. 

Concernant leurs principales motivations pour adopter l’IA dans le secteur de la santé, les pays ont le plus souvent cité l’amélioration des soins aux patients (98 %), l’allègement de la pression pesant sur le personnel (92 %) et l’augmentation de l’efficacité et de la productivité (90 %). 

Pourquoi cela vous concerne-t-il ?

Pour la population en général, l’utilisation de l’IA dans les soins de santé est associée à 3 grands types de préoccupations : la sécurité des patients, l’accès équitable aux soins et la protection de la vie privée numérique. Lorsqu’ils se font soigner, les patients attendent de leur médecin ou du personnel infirmier qu’il réponde de ses éventuelles erreurs, mais l’IA change cette dynamique. L’IA s’appuie sur des données pour apprendre et prendre des décisions. Si ces données sont biaisées ou incomplètes, les décisions de l’IA le seront également, ce qui pourrait conduire à ne pas diagnostiquer un problème, à appliquer un mauvais traitement ou à introduire des inégalités en matière de soins. 

Ce rapport exhorte les pays à élaborer des stratégies d’IA qui correspondent aux objectifs de santé publique, à investir dans la préparation des personnels à l’IA, à renforcer les garanties juridiques et éthiques, à faire participer la population en toute transparence et à améliorer la gouvernance des données transfrontalières. 

« L’IA est sur le point de révolutionner les soins de santé, mais ses promesses ne se concrétiseront que si les individus et les patients restent au centre de chaque décision », conclut le docteur Kluge. « Les choix que nous posons aujourd’hui détermineront si l’IA donne aux patients et aux professionnels de santé des moyens d’agir ou si elle les laisse de côté. »