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1. Pim van Vliet fête son 91e anniversaire avec sa fille Lies. 2. Marit au Centre de phagothérapie Eliava en 2018.
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Établir les preuves sous-tendant l’utilisation des bactériophages pour lutter contre la résistance aux antimicrobiens

25 juin 2024
Communiqué de presse
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« Mon père se sentait impuissant, comme si la vie lui échappait », explique Lies, la fille de Pim van Vliet. À l’âge de 84 ans, Pim a commencé à souffrir, après avoir subi une intervention chirurgicale, d’une infection urinaire chronique causée par une bactérie multirésistante, Klebsiella pneumoniae. Cette infection persistante a entraîné de nombreuses hospitalisations pendant plusieurs mois, et ne répondait pas aux antibiotiques administrés par voie intraveineuse. Depuis son lit d’hôpital au Royaume des Pays-Bas, Pim a alors regardé un programme télévisé sur le traitement par bactériophages à l’Institut Eliava de Tbilissi (Géorgie).

Les bactériophages, également appelés phages, sont des virus qui ciblent et tuent les bactéries de manière spécifique. Ces organismes biologiques naturels sont omniprésents dans l’environnement, et peuvent détruire des bactéries pharmacorésistantes comme les antibiotiques. Les phages constituent une alternative ou un complément prometteurs aux antibiotiques.

« Mon père, proche de la mort, m’a demandé de solliciter l’aide de l’Institut Eliava en dernier recours », poursuit Lies. Ses échantillons d’urine ont été envoyés sur demande aux microbiologistes cliniques d’Eliava qui ont pu isoler la bactérie et mettre au point un schéma thérapeutique personnalisé à base de phages.

Pim a commencé la phagothérapie en mai 2017 et, en quelques jours, son état s’est nettement amélioré. Après un peu plus d’un mois de traitement, administré à domicile par les membres de la famille avec le soutien d’un personnel infirmier, Pim s’est complètement rétabli sans le signalement d’aucun effet secondaire. Les urologues ont confirmé que les bactéries pharmacorésistantes avaient disparu. Pim n’a pas souffert d’infection urinaire depuis la phagothérapie, et a récemment fêté son 91e anniversaire en bonne santé avec sa famille.

Utilisation des bactériophages dans le cadre de l’approche « Une seule santé »

« Mon père s’est miraculeusement rétabli, et il a un magnifique témoignage à partager », explique Lies. « J’ai appris que beaucoup de souffrances peuvent être évitées grâce aux bactériophages, surtout s’ils sont administrés à un stade précoce pour soigner les infections chroniques. Si seulement les personnels de santé pouvaient être informés sur les phages. Forts de ces connaissances, ils pourraient ainsi commencer à travailler avec cette thérapie. On a cependant besoin d’une législation pour soutenir son utilisation à grande échelle », ajoute-t-elle.

À cette fin, l’OMS/Europe mène un dialogue en collaboration avec le Centre mondial de recherche-développement sur la résistance aux antimicrobiens afin d’analyser les applications pratiques ainsi que les éléments de preuve à l’appui de l’utilisation des phages. L’initiative vise à renforcer les fondements scientifiques d’un éventuel recours plus généralisé à la phagothérapie dans la lutte contre la résistance aux antimicrobiens. Cette dernière nécessite d’ailleurs l’adoption d’une approche multidimensionnelle tenant compte de la santé humaine, animale et environnementale, connue sous le nom d’approche « Une seule santé ». L’utilisation potentielle à plus grande échelle de la phagothérapie exige cependant la constitution d’éléments de preuve solides afin d’étayer son efficacité, sa sécurité et sa faisabilité dans tous les secteurs concernés par l’approche « Une seule santé ».

En l’absence d’interventions efficaces, la résistance aux antimicrobiens peut réduire à néant des décennies d’avancées médicales, entraînant une augmentation de la morbidité, de la mortalité et des coûts des soins de santé. Elle survient lorsque des micro-organismes, tels que des bactéries, des virus, des parasites ou des champignons, deviennent résistants à un traitement antimicrobien auquel ils étaient auparavant sensibles. L’apparition d’agents pathogènes résistants compromet l’efficacité des médicaments antimicrobiens. La prise en charge des infections qui autrefois pouvaient être soignées chez les humains, les animaux et les végétaux devient donc de plus en plus difficile, voire impossible dans certains cas.

Les bénéfices des soins personnalisés

Marit, la fille de Lydia Roelof, a souffert d’infections urétrales chroniques de l’âge de 3 à 11 ans. Elle a suivi un traitement antibiotique pendant plusieurs mois, mais rien ne semblait y faire. Les visites à l’hôpital étaient interminables, avec une interruption du rythme scolaire et une dégradation de la qualité de vie. « Au début, l’infection s’est améliorée grâce aux antibiotiques prescrits, mais elle revenait toujours et semblait plus grave à chaque fois », explique Lydia. Finalement, le rein de Marit s’est infecté, et elle a été hospitalisée sous antibiotiques intraveineux.

Comme Pim, Lydia a découvert l’Institut Eliava grâce à une émission de télévision diffusée au Royaume des Pays-Bas. Il existe de par le monde un nombre limité d’instituts et de cliniques qui travaillent sur l’application des bactériophages en santé humaine.

« Depuis 2018, notre clinique a soigné plus de 8 400 patients du monde entier avec une phagothérapie personnalisée », explique le docteur Mariam Dadiani, spécialiste de la médecine interne au Centre de phagothérapie Eliava en Géorgie. « Nous suivons une approche centrée sur le patient par la prestation de soins personnalisés. Il est très important de sensibiliser davantage au rôle des bactériophages dans le traitement des infections chroniques multirésistantes. Derrière nos réussites individuelles se cachent des preuves qui soutiennent le développement de la phagothérapie en vue d’une utilisation généralisée en santé humaine », précise-t-elle.

Marit et sa mère se sont rendues au Centre de phagothérapie Eliava en 2018 où Marit a été diagnostiquée avec une bactérie E. coli multirésistante. Elle a commencé une phagothérapie de 14 jours pendant son séjour à la clinique et, de retour chez elle, elle a poursuivi le traitement pendant encore 6 mois. Elle a commencé à se sentir beaucoup mieux, avec moins de douleurs et plus d’énergie chaque jour, et elle a finalement pu retourner à l’école sans interruption. Le dépistage à nouveau réalisé par les médecins a permis de constater l’absence de la bactérie, et l’infection n’est pas réapparue depuis.

Aujourd’hui, Marit est une jeune femme de 18 ans, en bonne santé, qui fait des études pour s’occuper des enfants, et aime pratiquer des sports comme le korfbal. Les exemples de réussite, comme ceux de Pim et Marit, témoignent de la valeur de la prestation de soins centrés sur la personne, en mettant en avant les promesses apportées par la phagothérapie pour aider à résoudre la crise de la résistance aux antimicrobiens.

L’OMS/Europe s’engage à agir contre la résistance aux antimicrobiens

La vision de la lutte contre la résistance aux antimicrobiens dans la Région européenne de l’OMS est que pour 2030, les personnes et les animaux devront être plus à l’abri des infections résistantes et difficiles à soigner dans des environnements plus sains. À cette fin, les 53 États membres de la Région européenne de l’OMS ont approuvé la Feuille de route sur la résistance aux antimicrobiens (2023-2030) qui aide les pays de la Région à définir, à hiérarchiser et à mettre en œuvre des interventions à fort impact devant atténuer les répercussions de ce phénomène de résistance. L’OMS/Europe est déterminée à relever le défi que pose la résistance aux antimicrobiens à la santé mondiale, notamment grâce à l’innovation et à la recherche qui sont d’ailleurs considérées comme des catalyseurs pour les domaines d’action de la feuille de route. L’élaboration et l’élargissement de la base de données probantes sur la phagothérapie en vue d’une utilisation potentiellement plus large des bactériophages s’inscrivent dans le cadre de cet engagement.

La feuille de route adopte une approche centrée sur la personne dans la mesure où elle cherche à mobiliser les populations comme partenaires de la lutte contre la résistance aux antimicrobiens et à leur donner les moyens d’agir. Les témoignages des patients ayant vaincu la résistance aux antimicrobiens nous font comprendre ce que cela signifie de souffrir d’infections chroniques impossibles à soigner, et nous font mieux percevoir l’impact de cette résistance sur la vie des personnes affectées. Ces récits illustrent la relation intégrale établie entre les patients, les professionnels et le système de santé et d’aide à la personne, et mettent en évidence les bénéfices des soins personnalisés.

En partenariat avec le Centre mondial de recherche-développement sur la résistance aux antimicrobiens, l’OMS/Europe réunit des experts pour aider à déterminer les exigences réglementaires et législatives de l’utilisation des bactériophages selon le principe « Une seule santé ». Une série de webinaires a été organisée pour examiner les opportunités et les défis liés à l’application des bactériophages. Il s’agit d’explorer l’état actuel des connaissances et les lacunes existantes à cet égard, et de définir les stratégies pour collecter les données probantes à l’appui d’une utilisation plus généralisée de la phagothérapie comme instrument de lutte contre la résistance aux antimicrobiens.

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Établir les preuves sous-tendant l’utilisation de la thérapie bactériophage (en anglais seulement)