Kai Kupferschmidt / Martin Joseph
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La variole du singe mise à la une : 2 journalistes expliquent pourquoi il faut continuer à parler de cette flambée épidémique

27 novembre 2022
Communiqué de presse
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Lors de toute épidémie – et la situation d’urgence actuelle provoquée par la variole du singe ne fait pas exception – les médias jouent un rôle d’information essentiel sur les risques pour la santé et les mesures que l’on peut prendre pour se protéger. Ainsi, la population – et en particulier les personnes courant le plus de risques – a la possibilité de prendre ses propres décisions en toute connaissance de cause pour préserver sa santé.

Six mois après le signalement des premiers cas de variole du singe dans la Région européenne de l’OMS, nous avons interviewé 2 journalistes qui se sont donné pour mission d’expliquer à des milliers de personnes les problèmes liés à l’épidémie de variole du singe, et ce par le biais de leurs podcasts, de leurs articles et de leurs recherches. Ils ont créé des plateformes où les personnes en voie de guérison peuvent trouver un appui, où les universitaires peuvent fournir des informations sur l’évolution de la situation et où tous les membres de la société peuvent prendre part à la conversation. 

Martin Joseph est un humoriste qui présente et produit le podcast « What the Pox? » [La variole du singe, kesceksa ?]. Établi à Londres (Royaume-Uni), il a créé le podcast après avoir lui-même contracté la variole du singe. « Lorsque je me suis retrouvé seul à la maison avec la variole du singe, avec toutes sortes de douleurs, effrayé, souffrant de solitude, je n’avais que très peu d’informations, alors j’ai cherché de l’aide sur Internet. « What the Pox? », ce sont les informations et le soutien que j’aurais souhaité avoir à ma disposition quand j’étais malade. »

Établi à Berlin (Allemagne), le journaliste de renommée internationale Kai Kupferschmidt est correspondant pour Science Magazine, l’une des plus importantes revues spécialisées au monde. Il écrit sur tout un éventail de sujets, mais principalement sur les maladies infectieuses. « C’est un domaine passionnant parce qu’il évolue rapidement, qu’il est important et qu’il est intéressant », dit-il. 

Communiquer dans l’incertitude 

La variole du singe est signalée chez l’homme depuis plus de 50 ans. Pourtant, au début de l’épidémie actuelle en Europe, de nombreuses inconnues subsistaient quant au mode de propagation du virus, aux personnes les plus exposées, à l’éventail des symptômes ressentis et aux meilleurs moyens de prévenir la transmission.

« Les informations que j’obtenais ne reflétaient pas fidèlement les manifestations du virus », déclare Martin. « Je voyais des gens couverts d’ampoules sur tout le corps et ce n’était pas comme ça que je le vivais. »

« Chaque fois que l’on écrit sur une maladie infectieuse », explique Kai, « il y a juste une myriade d’incertitudes au début. Et l’on est confronté aux peurs des gens. Ils veulent savoir quels sont les risques, et au commencement, c’est très difficile de leur fournir de bonnes réponses. Et donc, ce que vous dites, en gros, c’est « voilà comment cela se présente, mais nous ne savons pas vraiment ». »

« Dans « What the Pox? », nous avons été très francs au sujet de ce que nous savions ou pas », affirme Martin, « mais c’est tellement primordial de disposer d’informations pour se sentir OK. Cela vous procure un peu de sécurité, même si la situation fait peur. » 

Changer la manière dont on parle de la variole du singe 

Martin et Kai sont tous deux des homosexuels écrivant au sujet d’un virus qui, dans le cadre de cette épidémie, touche principalement les hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes, surtout ceux qui ont de multiples partenaires sexuels. Il fallait absolument une communication claire sur le fait que certains comportements sexuels rendent ce groupe plus vulnérable au virus, mais il était tout aussi important de ne pas provoquer de stigmatisation ou alimenter des stéréotypes dus à une mésinformation.

Kai explique que les experts montraient parfois des réticences à être interviewés parce qu’ils éprouvaient des difficultés à parler de comportements sexuels et craignaient d’être accusés de discrimination. « Ils ont fait des choix pour des raisons compréhensibles, mais je pense vraiment qu’il y a toujours un malaise à parler de cela, est c’est, au fond, un certain type d’homophobie. » 

« C’est difficile de parler de sexe », poursuit-il. « C’est difficile de parler de comportement sexuel. Je pense qu’il faut prendre sur soi et le faire, même si cela vous gêne. Je pense que des modifications infimes du vocabulaire employé font une énorme différence. Il y a des phrases que j’ai modifiées après les avoir écrites parce que je me rendais compte que cette maladie n’est pas propagée par les hommes homosexuels, mais bien qu’elle se propage parmi les hommes homosexuels. C’est le groupe le plus vulnérable. » 

Martin est en colère contre une manière de s’exprimer qui a implicitement accusé les communautés gay dont il fait partie d’être responsables de la variole du singe :

« J’ai l’impression qu’elle a atterri sur notre seuil et que nous l’avons chassée d’un coup de balai. Nous sommes sortis et nous avons fait le travail difficile. La baisse des chiffres est certes attribuée aux formidables services de santé sexuelle et au travail d’institutions comme l’OMS, mais aussi au fait que nous sommes sortis et que nous avons fait la queue pendant 4 heures pour nous faire vacciner, que nous nous sommes entraidés, que les gens ont changé de comportement sexuel et ont eu des conversations ouvertes sur le sexe. »

Des voix auxquelles on fait confiance 

Le podcast « What the Pox? » de Martin est une étude en 10 volets sur certaines des problématiques soulevées par l’épidémie de variole du singe, à travers des entretiens avec des patients et des experts, dont le docteur Richard Pebody, qui dirige l’équipe Pathogènes à haut risque à l’OMS/Europe. Le podcast a également intégré, par touches, l’expérience personnelle de Martin. Bien qu’il ait initialement prévu de participer dans l’anonymat, il s’est senti tellement réconforté en entendant les expériences d’autres personnes qu’il a décidé de faire connaître son histoire aux auditeurs, dont beaucoup, présentant les symptômes de la variole du singe, étaient isolés chez eux. « En entendant le vécu des autres, on se sent plus fort », dit-il.

En revanche, le lectorat de Kai comprend beaucoup de personnes travaillant dans le domaine de la science et de la santé publique. Ses sources les plus fiables pour ses articles sont des personnes qui ont travaillé sur la variole du singe avant cette flambée épidémique, celles qui publient actuellement sur le sujet et les membres d’institutions internationales comme l’OMS, qui peuvent lui donner une vue d’ensemble.

Selon lui, l’explosion des informations disponibles en ligne, associée à une érosion de la confiance dans les autorités sanitaires liée à la pandémie, constituera une entrave majeure à la diffusion auprès de la population d’informations nuancées et fondées sur des bases factuelles dans les prochaines années.

« Au bout du compte, c’est une question de confiance de la population envers les responsables de la santé publique, les journalistes de certains médias, et je pense que nous avons ignoré cela à nos risques et périls. Je n’ai aucune réponse simple. C’est difficile d’instaurer cette confiance, mais je pense que c’est notre tâche essentielle », observe-t-il.

Un monde interconnecté 

Malgré la diminution encourageante du nombre de cas de variole du singe dans la Région européenne, Kai estime que pour comprendre la marche à suivre en ce qui concerne cette maladie, nous devons d’abord déterminer si ce recul est dû à une immunité accrue au sein des groupes qui sont les plus actifs sexuellement et ont le plus large réseau, ou à un changement de comportement. Triompher complètement de l’épidémie pourrait quand même être un défi, prévient-il :

« Ces derniers cas sont toujours les plus difficiles à prévenir, car il s’agit des gens que vous n’avez peut-être pas réussi à atteindre avec vos informations. Ce sont les gens qui, peut-être, sont confrontés à d’énormes obstacles pour accéder aux soins de santé ou aux informations sur la santé. Cela peut être des gens qui vivent dans des pays où les rapports homosexuels sont criminalisés, où ils sont stigmatisés. Ils peuvent même avoir peur de recevoir un diagnostic positif, si cela signifie une période d’isolement et que ce n’est pas faisable, ou si cela peut révéler leur homosexualité. »

Martin plaide en faveur d’un meilleur partage des vaccins et des ressources au niveau mondial et de l’amélioration des services de soins de santé pour la communauté LGBTQIA+ (homosexuels des 2 sexes, bisexuels, transsexuels, altersexuels, personnes intersexuées ou asexuées). Il demande également que l’on s’attaque davantage à l’homophobie, qu’il considère comme un obstacle à la réduction de la transmission interhumaine et à la réalisation de l’objectif d’élimination de la variole du singe dans la Région. Kai, lui aussi, propose une démarche globale qui passe par la lutte contre les inégalités dans le domaine des soins de santé et par une meilleure prise en compte des recoupements entre la santé et le commerce et de nos interactions avec le monde physique :

« Je considère que mon travail, en tant que journaliste, est d’essayer de montrer le pourquoi du comment et d’expliquer aux gens, non seulement ce qui se passe cette fois-ci avec la variole du singe, mais aussi ce que cela veut dire pour l’avenir, avec d’autres maladies. J’essaie de montrer aux gens la relation entre ce qu’ils vivent et la façon dont nous avons organisé le monde. Ça, pour moi, c’est la mission fondamentale : faire comprendre aux gens la connexion entre nous tous et l’impact que cela a sur eux au moment même. » 

Dès le début de l’épidémie de variole du singe dans la Région, l’OMS/Europe, en plus d’avoir un partenariat avec les experts nationaux et régionaux de la santé et les médias, a consulté et collaboré avec les hommes ayant des rapports homosexuels et les organisations de la société civile qui les soutiennent et les représentent, en considérant leurs connaissances et leur engagement comme essentiels dans la lutte contre la variole du singe et son élimination. Cette collaboration a permis de diffuser des informations cruciales via de multiples canaux et plateformes tout au long de l’été 2022, et bien au-delà.