Le voyage entre le Karabakh et l’Arménie a fait vivre à plus de 100 000 réfugiés une terrible épreuve, et nombre d’entre eux ont besoin d’urgence d’un soutien pour leur santé mentale. Une équipe de l’OMS s’est entretenue avec des réfugiés récemment arrivés dans un centre d’hébergement temporaire. Chacun raconte à sa manière leur histoire collective.
« Nous n’oublierons jamais ce terrible parcours vers l’Arménie. Cette épreuve restera à jamais gravée dans ma mémoire et se répète sans cesse dans mes rêves. »
« Nous avons vu, sur la route, des morts que nous avons dû contourner. »
« J’ai des flashbacks des combats qui nous ont chassés de notre foyer, et ma fille est plus agressive après ce qu’elle a vécu. »
« C’est comme si mon monde s’était écroulé tout autour de moi. »
« Lorsqu’on a commencé à tirer, nous avons tous couru vers l’école, où se trouvait l’abri, et tous les enfants étaient là. Les enfants avaient très peur, ils pleuraient. Nous avons entendu parler d’un enfant qui a eu une crise cardiaque à cause de la peur. »
L’impact des situations d’urgence sur le bien-être mental
En Arménie, les besoins immédiats en matière de soutien mental et psychosocial sont criants, car les personnes déplacées essaient de gérer toute une série de problèmes sociaux induits par la situation d’urgence, tels que la séparation des familles, le manque de sécurité, la perte des moyens d’existence et l’éclatement des réseaux sociaux.
Des études indiquent qu’à long terme, presque toutes les personnes touchées par une situation d’urgence ressentent l’une ou l’autre forme de détresse psychologique. Parmi les personnes ayant vécu une guerre ou une autre forme de conflit dans les 10 années précédentes, 1 sur 5 (22 %) souffrira de dépression, d’anxiété, de stress post-traumatique, de troubles bipolaires ou de schizophrénie.
Appliquant ces estimations à la situation des réfugiés en Arménie, l’OMS estime que quelque 22 500 réfugiés arméniens présenteront un jour un problème de santé mentale.
L’un des éléments clés de la réaction de l’OMS en faveur des réfugiés arméniens est la satisfaction de leurs besoins sur le plan de la santé mentale. Pour y parvenir, l’OMS renforce ses services d’encadrement mental et psychosocial en formant des psychologues, des prestataires de soins primaires et des bénévoles.
Un soutien psychologique aux victimes de brûlures
L’une des tâches les plus urgentes est d’assurer des services d’encadrement mental et psychosocial pour les survivants de l’explosion d’un dépôt de carburants qui, le 25 septembre, a tué plus de 200 personnes et en a blessé plus de 300. Au début novembre, plus de 100 grands brûlés avaient besoin de services de santé mentale à moyen ou long terme.
Naira Azatyan est l’une des 10 psychologues, formés par l’OMS, qui travaillent avec des patients souffrant de brûlures au Centre national pour les brûlures et la dermatologie et dans d’autres hôpitaux de tout le pays. « Nos patients », explique-t-elle, « ressentent des émotions extrêmes ; ils ont des flashbacks et ont besoin d’un soutien psychologique durable ». Nous commençons par travailler avec eux pour stabiliser la situation, nous faisons des exercices de relaxation, puis nous nous concentrons sur ce qu’ils pourront entreprendre plus tard. Nous ne travaillons pas seulement avec les patients, mais aussi avec leur famille et leurs proches. »
Marietta Khurshudyan est psychologue clinicienne et experte technique en matière d’encadrement mental et psychosocial auprès du bureau de pays de l’OMS en Arménie. Elle a dirigé les travaux visant à renforcer la prise en charge des réfugiés arméniens dans ce domaine, en collaboration avec le ministère arménien de la Santé et les partenaires locaux chargés de la mise en œuvre. L’un de ces projets consistait à former les 10 psychologues à l’accompagnement des grands brûlés.
« Nous savons qu’à cause de leurs graves brûlures, 100 personnes sont actuellement en traitement à l’hôpital. Elles sont non seulement confrontées à des niveaux de douleur extrêmes, mais éprouvent aussi, évidemment, de l’anxiété quant à ce que l’avenir leur réserve », dit-elle.
« L’OMS a commencé à former des psychologues arméniens travaillant avec des brûlés, afin que les patients reçoivent les soins dont ils ont cruellement besoin. L’encadrement mental et psychosocial est un volet important de la gestion de la douleur. Le fait de constater, de comprendre et de gérer les pensées, les émotions et les comportements qui accompagnent leur douleur peut les aider à réagir plus efficacement. »
En premier lieu, les psychologues doivent aider les patients à accepter leur nouvelle réalité, ajoute Marietta Khurshudyan. « C’est quelque chose qui aura un impact sur eux pour le restant de leurs jours. Il arrive que certaines personnes se rétablissent totalement, mais la plupart d’entre elles ne se remettront jamais complètement. Certaines ne se reconnaîtront jamais dans le miroir. »
Aider les personnes affectées à apprécier leurs propres ressources est un élément essentiel de l’encadrement mental et psychosocial. « L’étape suivante, c’est qu’elles ressentent de la satisfaction d’être en vie et qu’elles en arrivent à apprécier leurs propres ressources et celles qui leur viennent du monde extérieur. Par exemple, nous leur rappelons qu’elles sont fortes, qu’elles ont une famille qui les soutient, qu’elles ont des gens qui les aiment. »
Soulagés, mais traumatisés
Selon l’analyse réalisée par l’OMS/Europe concernant la prise en charge des réfugiés arméniens sur le plan de la santé publique, si de nombreux réfugiés ont exprimé leur soulagement d’avoir atteint l’Arménie, ils restent traumatisés et ont du mal à envisager leur avenir.
Gohar Gyurjyan, assistante sociale, est, elle aussi, réfugiée depuis peu. Elle a rejoint une équipe mobile d’encadrement mental et psychosocial soutenue par l’OMS pour évaluer les besoins d’une communauté de réfugiés comptant 140 personnes. Elle est un trait d’union essentiel avec les autres réfugiés.
« Parce que je suis l’une d’entre eux, parce que je viens du même endroit qu’eux, cela contribue à améliorer ma capacité à communiquer avec eux. Ils voient que je suis dans la même situation qu’eux, et ensemble, nous essayons de trouver un moyen d’aller de l’avant. »
« Avec un peu d’aide extérieure, tout le monde ici peut redémarrer, être prêt à travailler pour commencer à créer et à améliorer sa vie. Personne n’est dans une situation désespérée », souligne-t-elle.
Renforcer les systèmes de soutien à la santé mentale
L’OMS est également en train de former 10 psychologues qui assureront une permanence téléphonique en matière de santé mentale. Ils offriront aux appelants de l’empathie et les aideront à désamorcer les sentiments douloureux liés à la crise.
« L’isolement peut intensifier les sentiments tels que le stress, les traumatismes et la dépression, c’est pourquoi les gens devraient demander de l’aide le plus tôt possible », explique Marietta Khurshudyan. « Le service d’assistance téléphonique leur donne la possibilité de rompre ce sentiment de solitude et d’entrer en contact avec un professionnel attentif. »
« L’investissement dans la santé mentale dans le cadre de l’action humanitaire est payant, non seulement parce qu’il aide les gens à survivre à une détresse et à des épreuves extrêmes, mais aussi parce qu’il soutient le redressement d’une nation », souligne Marthe Everard, représentante spéciale du directeur régional de l’OMS pour l’Europe en Arménie.
L’OMS a lancé pour l’Arménie un appel urgent aux donateurs, d’un montant total de 2,9 millions de dollars, à recueillir entre septembre 2023 et février 2024. Une partie de ces fonds permettra à l’OMS de continuer à offrir des soins spécialisés aux grands brûlés, d’évaluer leurs besoins en matière de réadaptation et d’étendre le programme existant d’encadrement mental et psychosocial aux populations affectées (réfugiés et habitants des régions d’accueil).