Mes chers collègues du système des Nations Unies, mes chers collègues spécialistes de la santé publique, mesdames et messieurs les représentants de la société civile, mesdames et messieurs,
Il n'y a de résultats que ceux que l'on peut mesurer.
J’ai commandé ce rapport pour rassembler les données sur la santé des femmes et des fillettes de tous âges, dans différentes régions du monde et dans plusieurs catégories de la population au niveau national.
J’ai fait cette démarche car je suis convaincue que la santé des femmes a été négligée, que ceci est un obstacle important au développement et que la situation doit s’améliorer. J’ai commandé ce rapport car je suis convaincue que les femmes ne doivent pas être cantonnées à leur rôle de mère.
Ma conviction s’inscrit dans le prolongement de mon engagement. Lors de ma prise de fonctions début 2007, j’ai fait de la santé des femmes et des peuples d’Afrique des priorités absolues. La santé de ces deux catégories étant déterminée par de très nombreux facteurs, les améliorations obtenues sont bien révélatrices des performances d’ensemble de l’OMS.
Il ressort clairement de ce rapport que l’état de santé des filles et des femmes d’Afrique subsaharienne est, à presque tous égards, le plus mauvais du monde. Un seul exemple illustrera mon propos: dans les pays riches, le risque de décès prématuré pour les femmes âgées de 20 à 60 ans n’est que de 6% alors qu’il est de 42%, soit sept fois plus élevé, en Afrique subsaharienne.
Avant de prendre des mesures pour remédier à un quelconque problème de santé, il faut faire le point de la situation. Pour être efficaces, les politiques visant un changement doivent porter sur les domaines où les progrès sont insuffisants, où des besoins précis ne sont pas satisfaits, où il est possible de prévenir des décès et des maladies et où l’évolution de la situation au cours du temps est inquiétante.
Lorsqu’on compare la santé des femmes à celle des hommes, quelles différences constate-t-on et quelles conclusions en tire-t-on? Lorsqu’on compare les femmes des différentes régions, cultures et catégories de revenu quelles tendances remarque-ton, quelles lacunes en matière de santé voit-on et à quoi les attribue-t-on?
Grâce à l’analyse épidémiologique des données existantes qu’il contient, ce rapport me convainc encore davantage que de nombreux besoins sanitaires des femmes ne sont pas satisfaits et m’incite d’autant plus à lancer un appel à l’action et à orienter une réponse ciblée.
Mais je veux affirmer d’emblée sans ambiguïtés que, comme le montre ce rapport, les obstacles qui empêchent les femmes d’être en meilleure santé ne sont pas essentiellement de nature technique ou médicale mais avant tout d’ordre social et politique, les deux allant de pair.
Nous ne pourrons être témoins de progrès importants tant que les femmes seront considérées comme des citoyens de seconde zone dans tant de régions du monde. Nous ne pourrons être témoins de progrès importants tant que les femmes ne pourront accéder ni à l’éducation ni à l’emploi, seront moins payées que les hommes voire pas payées du tout, n’auront pas le droit d’acquérir des biens immobiliers, seront victimes de violence, n’auront aucune maîtrise sur les revenus du ménage et ne seront pas libres de dépenser de l’argent pour se faire soigner, même si leur vie est en jeu.
Nous ne pourrons être témoins de progrès importants tant que les femmes seront si nombreuses à accepter leur position d’infériorité, à baisser la tête, à souffrir et à endurer leur situation. Dans de très nombreuses sociétés, ce sont les hommes qui détiennent le pouvoir politique, social et économique. Le secteur de la santé doit s’inquiéter de cette situation. Ce déséquilibre dans les relations de pouvoir se traduit par une inégalité d’accès aux soins de santé et par une maîtrise inégale des ressources sanitaires.
En réalité, une évaluation de l’état de santé des femmes et des fillettes permet d’apprécier de manière fiable les conséquences réelles du statut social inférieur des femmes. C’est de cette base que nous devons partir.
Il n'y a de résultats que ceux qu'on peut mesurer. Ce rapport a permis de prendre la mesure du profond impact du statut social sur la santé des femmes et des fillettes.
Maintenant que nous savons ce contre quoi nous devons lutter, que faire pour aller de l’avant? Je peux vous assurer que la tâche est difficile. Dans le domaine de la santé publique, on peut affirmer qu’il est plus facile de distribuer des médicaments ou des moustiquaires et d’offrir d’autres interventions, même à très grande échelle, que de faire changer les attitudes et les comportements, y compris ceux liés au sexe, de combattre la discrimination et d’améliorer le statut social des femmes.
Mais les sociétés créent des relations inégales ainsi que les politiques qui les pérennisent. Cette situation doit changer.
Mesdames, Messieurs,
Examinons quelques unes des données.
Grâce à ce rapport, nous commençons à repérer quelques tendances et à obtenir quelques réponses. Mais nous n’en sommes qu’au début. Le milieu de la recherche et les services statistiques aussi négligent la santé des femmes. L’une des conclusions frappantes du rapport est le peu de données disponibles sur les principaux problèmes de santé qui touchent les femmes et les filles, notamment dans les pays en développement.
Dans certaines régions, on est encore dans le noir. Dans d’autres, l’horizon s’éclaircit.
Les filles débutent dans la vie avec un avantage biologique. En général, les femmes vivent six à huit ans de plus que les hommes. Comme le montre le rapport, la mortalité des nourrissons de sexe féminin et des filles n’est pas supérieure à celles des garçons. Les programmes de vaccination de l’enfant couvrent tout autant les garçons que les filles, qui sont aussi bien protégées.
Mais lorsqu’on examine les données sur toute la durée de la vie, cette situation de départ change et l’impact du statut social inférieur de la femme se fait jour.
Si rien ne change, la condition actuelle de la femme restera considérée comme normale et les femmes continueront à être exploitées. Le rapport nous apprend que jusqu’à 80% des soins de santé en général et 90% des soins liés au VIH/sida sont dispensés à domicile, presque toujours par les femmes sans que celles-ci soient soutenues, reconnues ou rémunérées à ce titre.
La probabilité d’avoir un emploi dans le secteur officiel est moindre pour les femmes que pour les hommes. Les femmes passent le plus clair de leur temps à travailler sans être payées pour autant. Parce qu’elles ont moins de chances d’occuper un emploi sur le marché du travail officiel, les femmes ne jouissent ni de la sécurité de l’emploi ni d’une protection sociale, en particulier d’accès aux soins.
À l'échelle mondiale, plus de 580 millions de femmes sont illettrées, soit plus du double du nombre des illettrés chez les hommes. L'incidence du niveau d'éducation sur la santé des femmes et de leurs familles a fait l'objet de nombreuses études. Comment peut-on tolérer une telle différence dans un domaine aussi important?
Dans les pays en développement, et notamment en Asie, ce sont 38% des filles qui sont mariées avant l'âge de 18 ans, et 14% avant l'âge de 15 ans. Si ces jeunes filles ont de la chance, les services de santé seront en mesure de prendre en charge au moins certains des risques bien connus associés aux grossesses précoces. Mais la santé publique ne peut rien contre les mariages précoces.
Ce sont là des problèmes sociaux et politiques. Ils vont au-delà des frontières de la santé publique et sont trop importants, trop étroitement liés aux conventions sociales et culturelles pour être résolus par les seules interventions techniques ou médicales, ou même par les réformes si nécessaires des systèmes de santé.
Les sociétés et les leaders politiques qui les gouvernent doivent d'abord décider que la santé des femmes est importante. La santé publique peut faire certaines choses, bien sûr. Nous pouvons favoriser un meilleur accès aux services de santé sexuelle et génésique. Nous pouvons faire quelque chose pour le cancer du col de l'utérus ou pour les facteurs de risque des nombreuses maladies chroniques qui accablent les femmes lorsqu'elles avancent en âge. Nous pouvons élaborer des stratégies techniques claires pour réduire le nombre des décès associés à la grossesse et à l'accouchement.
Mais ces efforts n'auront finalement qu'un impact superficiel et limité parce qu'ils ne s'attaquent pas aux causes profondes des besoins des fillettes et des femmes qui restent sans réponse. Ces causes profondes sont enracinées dans les attitudes, les conventions et les comportements sociaux, et dans les politiques qui les perpétuent.
Lorsque l'on compare l'état de santé des femmes dans les pays à revenu élevé et dans les pays à faible revenu, les résultats sont prévisibles et révélateurs. Dans toutes les régions et tous les groupes d'âge, les taux de mortalité et de morbidité des filles et des femmes des pays à haut revenu sont plus faibles que dans les pays à faible revenu.
Il est tentant d'en conclure que la pauvreté est le déterminant le plus important des problèmes de santé chez les femmes, et que, au fur et à mesure que les économies se développent, que les pays se modernisent, que les revenus augmentent, les problèmes disparaîtront progressivement, automatiquement, d'eux-mêmes. La pauvreté est importante, mais les données factuelles révèlent bien d'autres facteurs.
Certaines vulnérabilités biologiques sont propres aux femmes, liées à leurs fonctions de procréation, et les exposent à certains risques particuliers. Nous le savons depuis bien longtemps. Mais la biologie doit-elle tracer une destinée pour toute la vie, avant et après les années de procréation? Le fait que de meilleurs résultats soient obtenus dans les groupes à revenu élevé nous montre qu'il n'en est rien.
La biologie ne nous permet certainement pas d'expliquer pourquoi 99% des décès maternels se concentrent dans le monde en développement. La biologie ne permet pas d'expliquer pourquoi les problèmes de santé et les principales causes de mortalité et d'incapacité diffèrent de façon si marquée entre les femmes des groupes à haut revenu et celles des groupes à faible revenu.
Dans les pays à revenu élevé, ce sont les maladies chroniques telles que les cardiopathies, les accidents vasculaires cérébraux, les démences et les cancers qui prédominent parmi les dix principales causes de mortalité, représentant plus de 4 décès sur 10 chez les femmes.
Dans les pays à faible revenu, ce sont les affections maternelles et périnatales, les infections des voies respiratoires inférieures, les maladies diarrhéiques et le VIH/sida qui sont responsables de près de 4 décès sur 10. L'aspect positif tient au fait que les outils existent pour prévenir ou traiter rapidement l'ensemble de ces affections.
Mais cela est révélateur d'un autre problème: l'incapacité des services de santé à répondre aux besoins des femmes. Nous avons avec le cancer du col de l'utérus un exemple frappant des conséquences de l'absence d'accès équitable aux services de santé. À l'échelle mondiale, le cancer du col de l'utérus est le deuxième type de cancer le plus fréquent chez les femmes. Près de 80% des cas et une proportion encore plus grande des décès surviennent dans les pays à faible revenu. Il s'agit pourtant d'un cancer qui peut être évité par la vaccination, détecté précocement par le dépistage et dont le traitement précoce donne de bons résultats.
Dans les pays en développement, les complications de la grossesse et de l'accouchement sont les principales causes de décès et d'incapacité chez les jeunes filles âgées de 15 à 19 ans. Les avortements pratiqués dans de mauvaises conditions de sécurité sont responsables d'une large proportion de ces décès. D'où la nécessité d'améliorer d'urgence l'accès aux services de santé génésique et sexuelle.
L'espérance de vie des femmes, nous l'avons dit, est généralement supérieure à celle des hommes mais cette vie plus longue n'est pas nécessairement une vie en bonne santé ni heureuse. Comme le montre le rapport, les femmes sont plus vulnérables à la dépression et à l'anxiété que les hommes. On estime à 73 millions dans le monde le nombre des femmes adultes qui souffrent d'un épisode dépressif majeur chaque année. Même si les causes d'une mauvaise santé mentale varient d'un individu à l'autre, le statut inférieur des femmes dans la société, leur charge de travail, et la violence qu'elles subissent sont des facteurs qui y contribuent.
Les tendances observées sont inquiétantes et fortement influencées par la généralisation à l'échelle de la planète des modes de vie peu sains. Dans certaines parties du monde, les femmes perdent l'avantage qu'elles possèdent en termes d'espérance de vie. L'hypertension, l'excès de cholestérol, le tabagisme, l'obésité et la violence viennent maintenant s'ajouter à la malnutrition en tant que facteurs de risque de la grossesse.
Les maladies cardiovasculaires, longtemps considérées comme des maladies masculines dans les sociétés d'abondance, sont désormais les maladies les plus meurtrières chez les femmes âgées, pratiquement partout.
Mesdames, Messieurs,
Nous savons depuis bien longtemps qu'au fur et à mesure que les niveaux de vie s'améliorent, la santé progresse. Mais il s'agit généralement d'un processus graduel, qui s'étend sur une période considérable.
Au cours des dernières décennies, des progrès remarquables ont été faits pour les femmes. Leur espérance de vie est passée d'à peine 51 ans au début des années 50 à 70 ans en 2007, contre 65 ans pour les hommes. L'utilisation de la contraception a progressé dans les pays en développement: de 8% dans les années 60, elle a atteint 62% en 2007. Les femmes se marient généralement plus tard, ont leur premier enfant plus tard, et vivent plus longtemps.
Les progrès sont remarquables, mais il a fallu une période remarquablement longue pour les accomplir.
Et c'est l'objet de la question que je souhaite vous poser: voulons-nous attendre que la santé des femmes s'améliore progressivement, ou sommes-nous contraints d'agir maintenant? Quels sont les enjeux?
Près de 85% des 3,3 millions de femmes que compte la population mondiale vivent dans des pays à revenu faible ou intermédiaire. La pauvreté est importante, mais le rapport a également mis en évidence un lien direct entre la discrimination à l'égard des femmes et leur état de santé moins bon.
Si les femmes sont privées du droit de réaliser pleinement leur potentiel en tant qu’être humain, et en particulier de leur capacité à mener une vie en meilleure santé et quelque peu plus heureuse, peut-on parler globalement d’une société réellement saine? Qu’en est il alors du progrès social au XXIe siècle?
L'appel à l'action doit aller au-delà du secteur de la santé pour s'étendre à des domaines tels que l'éducation, les transports, l'emploi, et les structures juridiques et judiciaires. Il s'agit essentiellement d'un appel pour que l'élaboration des politiques et la programmation dans tous les secteurs soient axées sur les femmes, dans le cadre d'une approche impliquant l'ensemble de l'État.
Avant tout, les soins de santé primaire, qui privilégient l'équité, la justice sociale et donnent la parole aux populations, offrent une occasion de faire la différence par l'intermédiaire d'un changement des politiques. Et nous avons besoin de la voix et du poids de la société civile pour que les responsables politiques prennent leurs responsabilités.
Avec la présentation de ce rapport, l'OMS a l'intention d'engager un vaste dialogue politique afin de définir un programme qui permettra d'obtenir des changements à la fois dans le secteur de la santé et bien au-delà.
Mais il ne peut y avoir de prescription au niveau mondial pour induire le changement. Les programmes d'action doivent être adaptés au contexte. Comme le révèle le rapport, les problèmes de santé des femmes varient considérablement d'un pays ou d'une région à l'autre. Par exemple, dans certains pays, les grossesses chez les adolescentes sont un sujet de préoccupation majeur. Dans d'autres, il faut s'attaquer au problème des suicides chez les femmes par l'ingestion de pesticides. C'est une horrible façon de mourir et le signe d'une détresse absolue, insupportable.
Nous devons être attentifs à de tels signaux et répondre en offrant la compassion et les soins qui sont l'empreinte caractéristique des femmes, partout.
Je vous remercie.