Principaux faits
- Les infections à trématodes (ou trématodoses) d’origine alimentaire entraînent chaque année dans le monde plus de deux millions d’années de vie perdues ou vécues avec une incapacité.
- Les personnes sont infestées lorsqu’elles consomment du poisson, des crustacés ou des légumes crus qui hébergent les larves de parasites.
- Les trématodoses d’origine alimentaire sont plus courantes en Asie du Sud-Est et en Amérique du Sud.
- Les infections à trématodes d’origine alimentaire provoquent des pathologies hépatiques et pulmonaires graves.
- Il existe des médicaments sûrs et efficaces pour prévenir et traiter les trématodoses d’origine alimentaire.
- La prévention et la prise en charge des trématodoses d’origine alimentaire nécessitent une collaboration intersectorielle à l’interface entre l’homme et l’animal et les écosystèmes.
Transmission et charge de la maladie
Les trématodoses d'origine alimentaire sont des zoonoses et ne deviennent infectieuses qu'à l'issue d'un cycle biologique complexe comprenant différents stades chez des hôtes intermédiaires non humains.
Chez toutes les espèces, le premier hôte intermédiaire est un mollusque d’eau douce, tandis que le second hôte diffère en fonction de l’espèce concernée : il s’agit d’un poisson d’eau douce pour Clonorchis et Opisthorchis et d’un crustacé pour Paragonimus. L’infection par Paragonimus spp peut également être provoquée par la consommation d'animaux qui se nourrissent de crustacés, par exemple de viande de sanglier crue. Fasciola spp ne nécessite pas de deuxième hôte intermédiaire et les personnes sont infectées lorsqu’elles consomment des plantes d’eau douce. L’hôte final est toujours un mammifère (Tableau 1).
Les personnes sont infestées lorsqu’elles ingèrent le second hôte intermédiaire, ou dans le cas de la fasciolase, en ingérant des larves avec les végétaux aquatiques auxquels elles sont attachées.
La clonorchiase et l'opisthorchiase sont essentiellement présentes en Asie, et on dénombre de nombreux pays d'endémie. Dans certains villages en état d'hyperendémie de la République démocratique populaire
lao, on a enregistré une prévalence de plus de 80 % pour O. viverrini. La paragonimose est présente en Afrique, en Asie et en Amérique latine et peut être associée à une co-endémicité
avec la tuberculose, ce qui entraîne souvent des erreurs de diagnostic et de traitement et contribue à une sous notification de la maladie. La fasciolase est une maladie mondiale, qui touche un grand nombre de pays dans le monde entier,
avec de fortes charges signalées en Amérique latine et au Moyen-Orient. Bien que des cas de trématodoses d’origine alimentaire aient été notifiés dans plus de 70 pays du monde, on dispose de peu de données
sur la prévalence et la charge réelles, et on manque largement d’informations sur la situation épidémiologique en Afrique.
À l’intérieur des pays, la transmission n’a souvent lieu que dans des zones limitées et selon des schémas comportementaux et écologiques. L'insuffisance de l'assainissement et de l'hygiène alimentaire,
l'accès limité à l'eau potable et les habitudes alimentaires sont associés à un risque accru d'infection. Les habitudes culturelles concernant le partage de la nourriture peuvent également contribuer à
l'apparition de foyers d'infection au sein des familles et des communautés.
On ne connaît pas la charge réelle associée à ces infections, car la sensibilisation aux questions de santé auprès du grand public ainsi que la disponibilité des établissements de santé sont
souvent limitées au sein des populations touchées. Le groupe de référence de l’OMS (2015) sur l’épidémiologie des maladies d’origine alimentaire [(FERG) selon son acronyme anglais] a identifié
les quatre espèces de trématodoses d’origine alimentaire comme causes importantes de handicap, responsables selon les estimations d’un total annuel de 200 000 maladies et de plus de 7000 décès, soit plus de
deux millions d’années de vie ajustées sur l’incapacité (DALY) à l’échelle mondiale.
On observe un impact économique majeur causé par les trématodoses d’origine alimentaire et celui-ci est lié aux pertes enregistrées dans les industries de l’élevage et de l’aquaculture du fait
d’une moindre productivité animale, ainsi qu’aux restrictions imposées aux exportations et à la baisse de la demande des consommateurs.
Tableau 1 : Caractéristiques épidémiologiques des trématodoses d’origine alimentaire
Maladie | Agent infectieux | Contracté par la consommation de | Hôte final naturel de l’infection | ||
Clonorchiase | Clonorchis sinensis | Poisson d’eau douce | Chiens et autres carnivores mangeurs de poisson | ||
Opisthorchiase | Opisthorchis viverrini | Poisson d’eau douce | Chats et autres carnivores mangeurs de poisson | ||
Fasciolase | Fasciola hepatica, F. gigantica | Végétaux aquatiques | Ovins, bovins et autres herbivores | ||
Paragonimose | Paragonimus spp. | Crustacés d’eau douce (crabes et écrevisses) | Chats, chiens et autres carnivores mangeurs de crustacés |
Symptômes
La charge pour la santé publique attribuable aux trématodoses d’origine alimentaire est principalement due à la morbidité plutôt qu’à la mortalité, en effet les infestations précoces et légères passent souvent inaperçues. Les infestations chroniques sont associées à une morbidité sévère, les symptômes étant principalement organiques et fonction de la localisation finale des vers adultes dans l’organisme.
Les infestations aiguës à Opisthorchis spp et Clonorchis sinensis peuvent être asymptomatiques dans le cas d'infestations légères, mais des symptômes cliniques tels que fièvre, douleurs dans la région abdominale peuvent être observés si la charge parasitaire est élevée du fait de l'obstruction de la vésicule biliaire par le ver. L'infection chronique à O. viverrini et à C. sinensis résultant d'épisodes prolongés de réinfection dans le temps peut être la plus grave, l'inflammation chronique entraînant une fibrose des canaux et la destruction du parenchyme hépatique adjacent. Ces changements peuvent entraîner un carcinome cholangiolaire, un grave cancer des canaux biliaires qui est souvent mortel. Pour cette raison, O. viverrini et C. sinensis sont tous deux classés comme agents cancérigènes. Les données sur les infestations chroniques à O. felineus sont rares, et ce parasite n'est pas classé comme agent cancérigène.
La fasciolase se caractérise par une période d'incubation asymptomatique après l'ingestion du parasite, suivie d'une phase clinique aiguë et chronique. La phase aiguë de la fasciolase commence lorsque les vers immatures pénètrent dans la paroi intestinale et le péritoine, puis perforent la surface du foie et se dirigent vers les canaux biliaires. Ce processus entraîne la destruction des cellules hépatiques et provoque des hémorragies internes. Parmi les symptômes figurent notamment la fièvre, les nausées, le gonflement du foie, les éruptions cutanées et de fortes douleurs abdominales. La phase chronique débute lorsque les vers atteignent les canaux biliaires, mûrissent et commencent à produire des œufs. Ces œufs sont libérés dans la bile puis atteignent l'intestin avant d'être évacués dans les fèces. Au nombre des symptômes figurent des douleurs intermittentes, la jaunisse, l'anémie, la pancréatite et les calculs biliaires. Les infections chroniques entraînent une cirrhose du foie due à une inflammation de longue durée.
Les stades précoces de la paragonimose peuvent être asymptomatiques. Une fois que les vers atteignent les poumons, les symptômes peuvent être importants et comprennent toux chronique et crachats avec traces de sang, douleurs thoraciques,
dyspnée et fièvre, et peuvent entraîner des complications notamment un épanchement pleural ou un pneumothorax. Les symptômes et les signes peuvent être confondus avec ceux de la tuberculose et doivent être
pris en compte chez les cas suspects de tuberculose ne répondant pas au traitement. La paragonimose ectopique est également fréquente, la paragonimose cérébrale étant la forme la plus courante. Les symptômes
qui y sont associés comprennent des maux de tête, des troubles de la vue, des crises d'épilepsie et des hémorragies cérébrales.
Diagnostic
Les trématodoses d'origine alimentaire sont suspectées sur la base du tableau clinique, des antécédents de facteurs de risque appropriés (consommation de poisson cru, de crustacés, de plantes d'eau douce non cuites), de la détection de l'éosinophilie et des résultats typiques des échographies, de la tomographie assistée par ordinateur ou de l'imagerie par résonance magnétique (IRM). La confirmation du diagnostic repose sur différentes techniques de diagnostic.
➔ Techniques parasitologiques pour détecter les œufs dans les échantillons de selles en vue de déterminer la clonorchiase, l'opisthorchiase et la fasciolase, et microscopie directe des frottis d'expectoration pour la paragonimose. Ces techniques sont les plus couramment utilisées et ont une faible sensibilité dans les infections à charge légère, en revanche elles sont précises si les microscopistes sont bien formés, bien que la différenciation morphologique des œufs puisse être difficile. Il est recommandé de préparer 2 frottis Kato-Katz.
➔ Techniques immunologiques pour détecter des anticorps spécifiques de parasites dans des échantillons de sérum ou des antigènes spécifiques de parasites dans des échantillons de sérum ou de selles. Ces techniques peuvent être plus sensibles mais la détection des anticorps ne permet pas de faire la distinction entre les infections actuelles, récentes ou passées. Il peut y avoir des réactions croisées avec d'autres antigènes de trématodes.
➔ Des techniques moléculaires telles que l'amplification en chaîne par polymérase peuvent également être utiles et sont actuellement en phase d'expérimentation.
Traitement, prévention et lutte
La lutte contre les trématodoses d’origine alimentaire vise à réduire les risques d’infestation et à maîtriser la morbidité associée. Il convient d'utiliser une approche intégrée « Un monde, une santé » reliant les aspects relatifs à l’animal, à l’homme et à l’environnement. Des interventions en matière d'information, d'éducation et de communication sur les pratiques alimentaires sûres, l'amélioration de l'assainissement et les mesures de santé publique vétérinaire devraient être mises en œuvre pour réduire les taux de transmission et le risque d'infection.
Pour maîtriser la morbidité, l’OMS recommande un meilleur accès au traitement au moyen d’anthelmintiques sûrs et efficaces.
➔ Le traitement de la clonorchiase et de l'opisthorchiase repose sur une administration de praziquantel, à raison de 25mg/kg, 3 fois par jour, pendant 2 à 3 jours consécutifs ou sur une administration unique à 40mg/kg.
➔ La fasciolase doit être traitée avec du triclabendazole à 10mg/kg, administré en une seule dose. En cas d'échec du traitement, la dose peut être portée à 20mg/kg, en deux doses fractionnées, à 12-24 heures d'intervalle.
➔ La paragonimose peut être traitée avec du triclabendazole à 20mg/kg, en deux doses de 10mg/kg à administrer le même jour, ou du praziquantel à 25mg/kg, 3 fois par jour pendant 3 jours. Le traitement au triclabendazole est préférable en raison de la simplicité de son schéma thérapeutique et donc d'une observance accrue du traitement.
Dans le cadre de l'action de santé publique, l'OMS recommande d'effectuer un diagnostic communautaire au niveau du district et de mettre en œuvre une chimiothérapie préventive au niveau de la population dans les zones où un grand nombre de personnes sont infectées. La prise en charge individuelle avec traitement des personnes dont l'infection est confirmée ou suspectée est appropriée lorsque les cas sont moins regroupés et que des établissements de santé sont disponibles.
La chimiothérapie préventive seule ne suffit pas à réduire la prévalence. Des facteurs tels que les mauvaises conditions d'assainissement et d'hygiène alimentaire, les réservoirs animaux et les habitudes alimentaires culturelles contribuent à des taux de réinfection élevés après le traitement. Ainsi, les programmes d'administration massive de médicaments devraient s'inscrire dans le cadre d'une approche « Une seule santé » plus large, intégrant l'éducation à la santé communautaire, les interventions au niveau vétérinaire et agricole, la sécurité sanitaire des aliments et l'amélioration des systèmes d'approvisionnement en eau, d'assainissement et d'hygiène.
Le tableau 2 présente un résumé des traitements et des stratégies recommandés.
Tableau 2 : Traitements et stratégies recommandés
Maladie | Médicaments recommandés et posologie | Stratégie recommandée |
---|---|---|
Clonorchiase et opisthorchiase | Prise en charge individuelle des cas | |
Praziquantel : 25 mg/kg trois fois par jour pendant 2-3 jours consécutifs | – Traiter tous les cas confirmés – Dans les zones d’endémie : traiter tous les cas suspects | |
Chimiothérapie préventive | ||
Praziquantel : 40 mg/kg en une seule prise | – Dans les sous-districts, les villages ou les communautés où les cas semblent groupés, traiter tous les habitants pendant 12 mois | |
Fasciolase | Prise en charge individuelle des cas | |
Triclabendazole : 10 mg/kg en une seule prise (une double dose de 20mg/kg, à 12–24 heures d’intervalle, peut être administrée en cas d’échec du traitement) | – Traiter tous les cas confirmés – Dans les zones d’endémie : traiter tous les cas suspects | |
Chimiothérapie préventive | ||
Triclabendazole : 10 mg/kg en une seule prise | – Dans les sous-districts, les villages ou les communautés où les cas de fasciolase semblent groupés : traiter tous les enfants d’âge scolaire (5–14 ans) ou tous les habitants, tous les 12 mois | |
Paragonimose | Prise en charge individuelle des cas | |
Triclabendazole : 2 x 10 mg/kg le même jour Praziquantel : 25 mg/kg trois fois par jour pendant 3 jours | – Traiter tous les cas confirmés – Dans les zones d’endémie : traiter tous les cas suspects | |
Chimiothérapie préventive | ||
Triclabendazole : – 20 mg/kg en une seule prise | – Dans les sous-districts, les villages ou les communautés où les cas de paragonimose semblent groupés: traiter tous les habitants tous les 12 mois |
Notre travail
Soutenir les pays dans leurs efforts de lutte contre les trématodoses d’origine alimentaire
L’OMS encourage l’introduction des trématodoses d’origine alimentaire parmi les objectifs des interventions de chimiothérapie préventive. Dans le but de fournir un accès à des médicaments de
qualité, l’OMS a négocié avec les entreprises pharmaceutiques des dons de triclabendazole pour traiter la fasciolase et la paragonimose dans les pays d’endémie, ainsi que du praziquantel pour traiter la clonorchiase
et l’opisthorchiase. L’OMS rassemble les demandes auprès des ministères de la santé et les médicaments sont expédiés gratuitement.
Promouvoir la prévention et la lutte contre les trématodoses d’origine alimentaire moyennant l’approche « Une seule santé »
Les cycles de vie des zoonoses que sont les trématodoses d’origine alimentaire sont complexes et sont étroitement liés à des conditions d’assainissement et d’hygiène des aliments insuffisantes, et à la présence de réservoirs animaux à proximité étroite des communautés. L’approche « Une seule santé » qui intègre des interventions dans les secteurs vétérinaire et agricole, l’amélioration de l’assainissement et de l’accès à l’eau potable, ainsi que la communication sur l’amélioration de la sécurité sanitaire et de l’hygiène alimentaire, est vitale pour lutter contre les infections à trématodes d’origine alimentaire.
L’OMS travaille étroitement avec les organisations partenaires telles que l’Organisation mondiale de la santé animale (OIE) et l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) pour
promouvoir une collaboration interdisciplinaire. Des réunions tripartites conjointes ont été organisées pour encourager les actions intersectorielles et aider collectivement les pays à renforcer leurs capacités
pour lutter efficacement contre les parasitoses d’origine alimentaire, notamment la réunion visant à accélérer la prévention et la lutte contre les zoonoses parasitaires négligées d’origine
alimentaire dans les pays d’Asie qui s’est tenue en République démocratique populaire lao en 2018. En outre, une série de communications et des publications d’orientations visant différents secteurs, notamment
les praticiens de santé publique, les autorités de sécurité sanitaire des aliments et les praticiens vétérinaires ont été produites conjointement par les trois organisations en Asie.
Promouvoir la mise en œuvre des interventions relatives aux trématodoses conjointement aux interventions relatives aux autres maladies tropicales négligées (MTN)
Une collaboration intersectorielle efficace au sein du réseau des MTN permet d’améliorer la qualité et le rapport coût-efficacité des interventions et de réduire au minimum les activités faisant double emploi. Les infections à trématodes d’origine alimentaire sont souvent co-endémiques avec de nombreuses autres maladies, en particulier celles touchant les populations vulnérables.
L’OMS préconise l’intégration de la surveillance et des interventions relatives aux trématodoses d’origine alimentaire aux programmes dans le domaine de l’eau, de l’assainissement et de l’hygiène
(WASH), et aux activités relatives à d’autres MTN en rapport avec ce domaine, ainsi que l’administration de la chimiothérapie préventive aux populations touchées parallèlement à des programmes
adaptés d’approvisionnement en aliments ou de vaccination. La détection conjointe de la paragonimose et de la tuberculose peut améliorer la surveillance et permettre un diagnostic exact et le traitement des cas.