L’infertilité touche une personne sur six dans le monde. Derrière ces statistiques se cachent des personnes en chair et en os. L’infertilité est un combat éminemment personnel, qui est souvent traversé dans le silence en raison de la stigmatisation, du coût élevé du traitement et du sentiment de culpabilité, comme le montre une étude récente menée par le Programme spécial de recherche, de développement et de formation à la recherche en reproduction humaine (HRP) des Nations Unies. L’étude, qui présente des expériences de couples infertiles au Maroc, met en lumière l’impact dévastateur de l’infertilité sur la vie des personnes. Elle attire l’attention sur les difficultés récurrentes rencontrées par les personnes concernées : la tension émotionnelle, la stigmatisation sociale et les lacunes systémiques au niveau de la prise en charge, qui laissent de nombreux couples sans orientations claires ni options à un coût abordable.
Voix de Marocains et Marocaines : difficultés et lacunes systémiques
Au Maroc, les couples confrontés à l’infertilité décrivent des années de confusion, de mauvais diagnostics et de douleur. « C’est un problème très difficile à tous les niveaux et le parcours est long pour obtenir le diagnostic exact », déclare une participante à l’étude, qui a traversé 10 ans de soins de fertilité en pointillés. Son mari d’ajouter : « J’ai dû passer par plusieurs étapes. C’est un parcours très long ; on se perd dans les méandres. »
Pour une des personnes ayant pris part à l’étude : « Être un couple infertile au Maroc signifie être victime de toute sorte de stigmatisation, surtout pour les femmes. La société fait toujours en sorte que les femmes se sentent coupables. » Tout au long des entretiens, les couples racontent les longs retards de diagnostic, leurs aller-retour entre différentes cliniques privées et des recours à la médecine traditionnelle par désespoir, ce qui a parfois pu avoir des conséquences néfastes. Une participante explique ainsi qu’elle et son mari ont pris un traitement à base de plantes qui les a laissés inconscients pendant 12 heures.
Le manque de clarté sur les parcours thérapeutiques et les options de traitement joue sur la qualité des soins. « On a été submergés en raison du manque criant d’informations claires et des erreurs d’orientation. » D’autres décrivent des cycles épuisants au cours desquels la démarche empirique consistait à essayer quelque chose qui échouait et à recommencer, les décisions semblant être guidées davantage par le désespoir que par la cohérence médicale. « Nous avons vu 13 spécialistes. Le parcours a été long et douloureux. » L’accès aux soins est souvent complexe en raison des coûts associés et du fait que la prise en charge de l’infertilité n’est pas incluse dans les programmes nationaux d’assurance-maladie.
Avancer vers l’équité : des solutions publiques et des lignes directrices mondiales
La couverture universelle des soins de fertilité dans le cadre du programme national d’assurance-maladie est une stratégie fondamentale pour améliorer l’accès aux traitements, promouvoir l’équité et faire en sorte que les couples reçoivent des soins complets.
Des solutions émergent dans le secteur public. Le Professeur Rachid Bezad, spécialiste de l’infertilité à l’Hôpital de Maternité et de Santé Reproductrice du Centre hospitalier universitaire Ibn Sina à Rabat (Maroc), qui a contribué à créer le premier centre public d’assistance médicale à la procréation (AMT) du pays, raconte : « La couverture universelle des soins de fertilité dans le cadre du système national d’assurance-maladie est une stratégie fondamentale pour améliorer l’accès aux traitements, promouvoir l’équité et faire en sorte que les couples reçoivent des soins complets. »
Les responsables gouvernementaux ont repris à leur compte cet appel. « Pour garantir un accès équitable aux services de prise en charge de l’infertilité, il est essentiel d’élargir la couverture sanitaire universelle et d’inclure l’ensemble des médicaments et des techniques utilisés pour la prise en charge de l’infertilité dans le panier de soins remboursables », déclare Hanane Rassimi, cheffe du département Programmes et activités de planification familiale relevant de la Direction de la population du Ministère de la santé et de la protection sociale. « Cette approche minorera l’obstacle financier et offrira aux patientes et patients des soins appropriés et rapides. »
La recherche sur la situation au Maroc offre un regard rare et en profondeur sur les réalités de l’infertilité telle qu’elle est vécue par les couples, dont beaucoup continuent de souffrir en silence. Elle souligne la nécessité de remodeler les systèmes de santé autour des expériences réelles vécues par les personnes et de remettre en question la stigmatisation qui entoure encore l’infertilité.
L’Organisation mondiale de la Santé (OMS) et le HRP publieront prochainement les premières lignes directrices mondiales sur l’infertilité, qui contiendront des recommandations fondées sur des données factuelles pour améliorer l’accès à la prise en charge de l’infertilité dans le monde entier. Ces lignes directrices sont une bonne occasion de trouver une solution aux problèmes soulevés par les couples au Maroc – qui sont courants dans de nombreux autres pays – et de s’assurer que personne ne soit laissé de côté dans son cheminement pour atteindre ses objectifs et aspirations individuels en matière de fertilité.
Les recommandations aborderont aussi bien l’infertilité féminine que l’infertilité masculine ou inexpliquée. Comme on peut le lire dans les principaux repères de l’OMS sur l’infertilité, lutter contre l’infertilité peut lisser les inégalités de genre en incitant les hommes à consulter pour une prise en charge de leur fertilité et en faisant en sorte que les femmes ne soient pas injustement blâmées pour l’infertilité du couple. Les femmes subissent souvent les conséquences de l’infertilité – y compris la stigmatisation sociale et des problèmes dans leur relation de couple, par exemple le divorce ou la polygamie – même lorsque les facteurs masculins contribuent à l’infertilité ou en constituent la principale cause.
Pour les millions de personnes qui traversent l’infertilité en silence, ces prochaines lignes directrices seront une étape vers la visibilité, la dignité et la prise en charge qu’elles méritent.