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Agent de santé communautaire au Nigéria, Mercy Nkiruka Agbo incite les femmes enceintes à se rendre dans des établissements de soins prénatals pour une prise en charge complète
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Prévenir le paludisme au cours de la grossesse dans les communautés isolées d’Afrique

1 avril 2019

Mercy Nkiruka Agbo sort sous un ciel couvert dans la région isolée d’Ohaukwu, dans l’État d’Ebonyi, au Nigéria. Porte-bloc en main, cette jeune femme de 29 ans, mère d’un enfant, consulte une liste de noms de femmes enceintes avant de décider laquelle elle ira voir en premier.

Mme Agbo est un agent de santé communautaire participant au projet TIPTOP1, un projet pilote novateur visant à protéger les mères et les nouveau-nés du paludisme en Afrique. Les bénévoles comme Mme Agbo collaborent avec le ministère de la santé pour élargir l’accès des communautés au « traitement préventif intermittent du paludisme (TPIp) au cours de la grossesse » dans quatre pays d’Afrique subsaharienne, la région où la charge de morbidité est la plus lourde.

En Afrique subsaharienne, plus de 50 millions de femmes tombent enceintes chaque année et risquent d’être exposées à Plasmodium falciparum, le parasite entraînant la forme la plus mortelle de paludisme dans le monde. Non traité, le paludisme au cours de la grossesse peut provoquer le décès de la mère, une anémie ou une insuffisance pondérale à la naissance – cause importante de mortalité infantile. Le TPIp par de la sulfadoxine-pyriméthamine (SP) de qualité garantie au cours de la grossesse peut éviter la survenue de ces problèmes et d’autres conséquences néfastes.

L’OMS recommande depuis 2012 l’administration d’au moins trois doses de SP aux femmes enceintes qui habitent dans toutes les régions d’Afrique où la transmission du paludisme est modérée à élevée. Ce médicament doit être administré pendant les consultations systématiques de soins prénatals, en débutant le plus tôt possible au cours du deuxième semestre, sous le contrôle d’un soignant qualifié.

La couverture du TPIp-SP reste faible

Bien que l’OMS et ses partenaires mondiaux du secteur de la santé aient depuis longtemps comme objectif de prévenir le paludisme chez les femmes enceintes, la couverture du TPIp-SP au cours de la grossesse reste faible. D’après le Rapport sur le paludisme dans le monde 2018, 22 % seulement des femmes enceintes éligibles avaient reçu au moins trois doses de traitement préventif dans 33 pays africains.

Les longues distances que doivent parcourir de nombreuses femmes enceintes pour se rendre aux dispensaires de soins prénatals et les frais de transport empêchent également l’accès au TPIp-SP. Les femmes qui arrivent aux établissements de santé ont parfois des difficultés à accéder au TPIp-SP en raison de ruptures de stock de SP ou parce que les agents de santé ne sont pas suffisamment informés.

Plusieurs projets, dont le TIPTOP, visent à surmonter ces difficultés. Le projet TIPTOP a été lancé en 2017 par Jhpiego, une organisation sans but lucratif rattachée à l’Université Johns Hopkins, en partenariat avec l’Institut de santé mondiale de Barcelone. Ce projet, soutenu par l’OMS et par l’Opération médicaments antipaludiques, est financé par Unitaid.

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Soins communautaires

Les agents de santé bénévoles comme Mme Agbo sont essentiels au succès de la stratégie TIPTOP, qui s’appuie sur des membres désignés des communautés pour l’administration de SP de qualité garantie et, parallèlement, pour que les femmes enceintes soient incitées à se rendre dans des établissements de soins prénatals pour une prise en charge complète. Ces démarches devraient renforcer le partenariat entre les établissements de soins prénatals et les communautés.

Mme Agbo a reçu une formation spécifique pour assumer ces fonctions. Pour être sélectionnés, les agents de santé doivent appartenir à la communauté et avoir un niveau minimum d’instruction.

Lorsqu’elle effectue ses rondes dans la communauté, Mme Agbo a de la SP de qualité garantie, qui lui est fournie à intervalles réguliers par un dispensaire de soins prénatals. Ses visites à domicile mensuelles lui permettent de parler aux femmes enceintes du traitement préventif du paludisme et de l’importance de recevoir des soins prénatals complets dans l’établissement le plus proche, de reconnaître les signes et les symptômes du paludisme, de déterminer quand et comment administrer le TPIp-SP et d’encourager l’utilisation de moustiquaires de lit imprégnées d’insecticide.

Une lourde charge palustre

Le Nigéria tente activement, à juste titre, d’améliorer la lutte contre le paludisme. En 2017, 25 % des cas de paludisme et près d’un décès sur cinq (19 %) lié à cette maladie sont survenus dans ce pays. Le Nigéria est l’un des quatre pays soutenus dans le cadre du projet TIPTOP, avec Madagascar, le Mozambique et la République démocratique du Congo.

« Compte tenu de la forte charge du paludisme au Nigéria, de ses conséquences pour les femmes enceintes, des taux généralement très bas de recours aux soins prénatals et de la rare application du TPIp dans le pays, il était important de mettre en œuvre ce projet au Nigéria », dit Elaine Roman, Directrice du projet TIPTOP à Jhpiego.

Pendant cinq ans, le projet TIPTOP sera mis en œuvre dans trois États du Nigéria – d’abord à Ebonyi, puis à Niger et à Ogun. C’est dans la région d’Ohaukwu dans l’État d’Ebonyi, où travaille Mme Agbo, que le plus grand nombre de cas de paludisme est notifié entre avril et octobre.

Selon la Dre Lynda Ozor, administratrice du Programme national de l’OMS au Nigéria, les fluctuations des taux de transmission sont en partie liées au cycle des pluies. « Le pic de la transmission coïncide avec la saison des pluies, pendant laquelle les gîtes larvaires se développent dans les habitations et aux alentours », explique-t-elle. « La prévalence du paludisme dans la population est très élevée. Il suffit donc qu’un moustique pique une personne infectée pour que le cycle perdure ».

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Le travail dure toute l’année

Cependant, Mme Agbo travaille comme agent communautaire toute l’année car la transmission ignore les saisons et les femmes enceintes doivent recevoir un traitement préventif complet à la SP qu’elles aient contracté ou non le paludisme. La présence régulière de Mme Agbo permet aussi de renforcer les liens entre les nouveaux services communautaires proposés dans le cadre du projet TIPTOP et les services de soins prénatals.

Grâce au projet TIPTOP, les femmes enceintes ont immédiatement accès au traitement préventif recommandé dans la communauté et elles sont incitées à se rendre régulièrement en consultation dans des établissements de santé assurant l’ensemble des services. Ces consultations dans des établissements de soins prénatals sont essentielles : une augmentation du nombre de contacts entre les soignants et les femmes enceintes permet d’étendre la couverture du TPIp et des soins prénatals.

Ce projet a pour but de déterminer s’il est possible d’introduire le TPIp au niveau communautaire tout en augmentant la couverture chez les femmes enceintes et en améliorant les résultats sanitaires pour les femmes et les nouveau-nés.
- Dr Lynda Ozor, Point focal paludisme bureau du pays Nigéria

Depuis 2016, l’OMS recommande aux femmes enceintes au moins huit contacts avec le système de santé, alors que quatre consultations prénatales étaient recommandées auparavant. Chaque contact devrait permettre aux femmes de bénéficier de soins de qualité, notamment de soins médicaux préventifs et curatifs, de soutien et d’informations pertinentes en temps utile.

Constitution d’une base de données factuelles

L’OMS ne recommande pas actuellement l’administration du TPIp dans la communauté. Conformément aux lignes directrices de l’OMS, le TPIp doit être administré par du personnel médical formé dans des établissements de soins prénatals. Le projet TIPTOP vise principalement à produire des données sur l’administration de TPIp au niveau communautaire en Afrique subsaharienne. Ces données seront évaluées au moment opportun avec les données provenant d’autres projets similaires, qui peuvent orienter les futures recommandations de l’OMS concernant la prévention du paludisme au cours de la grossesse.

« Ce projet a pour but de déterminer s’il est possible d’introduire le TPIp au niveau communautaire tout en augmentant la couverture chez les femmes enceintes et en améliorant les résultats sanitaires pour les femmes et les nouveau-nés », dit la Dre Ozor.

Bien que la mise en œuvre du projet TIPTOP vienne à peine de commencer — l’administration du TPI-SP dans les communautés au Nigéria a débuté en juillet 2018 – un important travail de fond a été effectué. Les partenaires ont élaboré un module de formation pour les agents de santé communautaires et les prestataires de soins prénatals, qui complète les documents de formation nationaux. Avec les ministères de la santé, les partenaires du projet veillent également à ce que de la SP de qualité garantie soit disponible sur les sites couverts par le projet.


Note:

1 Transforming Intermittent Preventive Treatment for Optimal Pregnancy (TIPTOP) project