Monsieur le Président,
Excellences,
Je vous remercie de me donner l’occasion de vous faire un point de la situation sanitaire à Gaza.
Permettez-moi d’emblée de préciser que je comprends parfaitement la colère, le chagrin et la peur du peuple israélien à la suite des attaques horribles, barbares et injustifiables perpétrées par le Hamas et d’autres groupes armés contre des civils israéliens, le 7 octobre dernier.
Il est inconcevable que 1 400 personnes aient été tuées et 7 200 autres blessées. Les conséquences sur la santé mentale des survivants et des familles des victimes perdureront longtemps.
L’OMS est gravement préoccupée par la santé et le bien-être des otages israéliens à Gaza, dont beaucoup sont des personnes âgées, des enfants et des personnes ayant des besoins médicaux urgents.
Il y a deux semaines, j’ai parlé avec des familles d’otages et je les rencontrerai à Genève la semaine prochaine. Je ressens leur chagrin et leur peur.
Je comprends également la colère, le chagrin et la peur de la population de Gaza, qui a déjà souffert pendant 16 ans de blocus et qui subit désormais la destruction des familles, des habitations, des communautés et de la vie telle qu’elle a pu la connaître.
Il est impossible de décrire la situation sur le terrain.
Dans les hôpitaux, les couloirs sont remplis de blessés, de malades et de mourants ;
les morgues sont saturées ;
les interventions chirurgicales sont pratiquées sans anesthésie ;
des dizaines de milliers de personnes déplacées se réfugient dans les hôpitaux ;
des familles s’entassant dans des écoles surpeuplées où elles attendent désespérément de la nourriture et de l’eau.
Plus de 10 800 personnes ont été tuées à Gaza, dont près de 70 % sont des femmes et des enfants.
En moyenne, un enfant est tué toutes les 10 minutes à Gaza.
On dénombre 1,5 million de personnes déplacées qui cherchent à s’abriter partout où elles le peuvent. Mais aucun endroit n’est sûr et personne n’est en sécurité.
Tandis que de plus en plus de personnes occupent des espaces toujours plus restreints, la surpopulation augmente les risques de flambées de maladies diarrhéiques et respiratoires, ainsi que d’infections cutanées.
L’OMS est sur le terrain à Gaza, aux côtés de ses partenaires, pour apporter un soutien aux agents de santé, qui sont épuisés physiquement et mentalement et font de leur mieux dans des conditions inimaginables.
En plus de prodiguer des soins à 27 000 blessés dont le pronostic vital est souvent engagé, ils s’efforcent de répondre aux besoins de santé ordinaires de plus de 2 millions de personnes.
Plus de 180 femmes accouchent chaque jour à Gaza.
Au total, 9 000 patients reçoivent un traitement contre le cancer.
Et 350 000 patients sont atteints de diabète, d’une cardiopathie ou d’hypertension.
Je me suis rendu à l’hôpital Al-Shifa à Gaza il y a cinq ans, en 2018. J’ai visité un service de dialyse ainsi qu’une unité de soins intensifs néonatals, et je me suis entretenu avec des agents de santé et des patients.
À l’époque déjà, les conditions étaient extrêmement difficiles pour les personnels de santé de Gaza.
Aujourd’hui, il leur est impossible de travailler et ils sont directement dans la ligne de mire.
Depuis le 7 octobre, l’OMS a confirmé plus de 250 attaques contre les services de santé à Gaza et en Cisjordanie, et 25 attaques de ce type en Israël. Des hôpitaux, des centres de soins, des patients, des ambulances sont visés.
La semaine dernière, l’OMS a recensé cinq attaques perpétrées contre cinq hôpitaux en une journée.
Au cours des dernières 48 heures, quatre hôpitaux ont été déclarés hors service, ce qui représente quelque 430 lits.
Plus de 100 collègues des Nations Unies ont été tués et ces chiffres ne cessent d’augmenter.
À l’heure où nous parlons, des tirs ont été signalés devant les hôpitaux Al-Shifa et Rantisi.
La moitié des 36 hôpitaux de la bande de Gaza et les deux tiers des centres de soins de santé primaires ne sont pas opérationnels. Ceux qui le sont encore fonctionnent bien au-delà de leurs capacités. Le système de santé est à genoux, et continue cependant à fournir des soins vitaux.
La meilleure façon de soutenir ces agents de santé et les populations qu’ils servent est de leur fournir les outils dont ils ont besoin pour prodiguer ces soins, à savoir des médicaments, du matériel médical et du carburant pour alimenter les groupes électrogènes des hôpitaux.
Les hôpitaux de campagne et les équipes médicales d’urgence peuvent venir renforcer et soutenir les hôpitaux et les personnels de santé de Gaza, mais ils ne sauraient pour autant les remplacer.
Le soutien aux agents de santé de Gaza est au cœur du plan opérationnel d’intervention de l’OMS.
Ainsi, l’OMS a participé au premier convoi d’aide qui a été acheminé à Gaza par le point de passage de Rafah le 21 octobre. Depuis cette date, nous avons livré 63 tonnes de matériel médical spécialisé et de fournitures dont les agents de santé ont besoin pour sauver des vies, y compris dans les hôpitaux situés au nord de Wadi Gaza.
Toutefois, ces actions ne suffisent pas face à l’ampleur des besoins, il en faut bien plus.
Avant le 7 octobre, en moyenne, 500 camions chargés de fournitures essentielles entraient chaque jour dans la bande de Gaza.
Depuis le 21 octobre, au lieu des 10 000 camions attendus, seuls 650 ont pu passer la frontière.
Il y a un mois, deux jours seulement après le début des violences, j’ai rencontré Son Excellence M. Abdel Fattah Al-Sissi, Président de l’Égypte, qui a accepté d’aider l’OMS et ses partenaires à acheminer de l’aide par le point de passage de Rafah.
Je remercie l’Égypte pour son soutien à l’acheminement de l’aide à Gaza et pour la mise en place d’une voie d’évacuation médicale permettant d’évacuer les personnes gravement malades et les blessées, notamment 12 enfants atteints de cancer qui sont en cours de transfert vers l’Égypte et la Jordanie pour y recevoir un traitement.
L’OMS continue de demander un accès sans entrave pour acheminer l’aide humanitaire aux civils de Gaza, qui ne sont pas responsables de cette violence, mais qui souffrent d’une manière inimaginable pour nous qui sommes présents dans cette salle.
Nous réitérons notre appel au Hamas pour la libération des otages, dont beaucoup ont besoin d’urgence de soins médicaux.
Nous demandons à Israël de rétablir l’approvisionnement en électricité, en eau et, cela revêt une importance particulière, en carburant.
Nous continuons d’appeler les deux parties à respecter leurs obligations en vertu du droit international humanitaire.
Enfin, nous continuons d’appeler à un cessez-le-feu, afin d’éviter des décès supplémentaires parmi les civils et d’autres dégâts dans les hôpitaux et les établissements de santé de Gaza.
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Monsieur le Président, Excellences,
Je comprends ce que les enfants de Gaza subissent, car j’ai vécu la même chose lorsque j’étais enfant.
Le bruit des coups de feu et des obus sifflant dans l’air ; l’odeur de la fumée après une frappe ; les balles traçantes dans le ciel la nuit ; la peur ; la douleur ; la perte – ce sont des choses qui sont toujours restées en moi.
Je connais l’odeur, les images de la guerre. Je sais ce que signifie la guerre.
Quand ma mère entendait des coups de feu la nuit, elle nous faisait dormir sous le lit, où elle empilait les matelas, dans l’espoir que nous serions protégés si un obus tombait sur la maison – l’instinct d’une mère pour sauver ses enfants.
Je comprends également ce que vivent les parents à Gaza, parce qu’en 1998, quand la guerre a repris en Éthiopie, mon pays, mes enfants ont dû se cacher dans un bunker pour se mettre à l’abri des bombardements.
J’ai connu la guerre à la fois en tant qu’enfant et en tant que parent. Je sais ce que tous deux ressentent.
Ce que les enfants et les parents à Gaza et en Israël veulent, et ce dont ils ont besoin, c’est la même chose que ma famille à l’époque : la paix et la sécurité.
Je n’aurais jamais imaginé que je serais le Directeur général de l’OMS, car la prière de ma mère était que je survive juste un jour de plus.
C’est précisément dans ce but que ce Conseil a été créé.
Or, la crise actuelle souligne une fois de plus la nécessité d’une réforme du Conseil de sécurité. En entrant dans la salle, j’ai éprouvé un sentiment de nostalgie, car j’avais l’habitude de venir ici lorsque j’étais ministre des Affaires étrangères.
Je suis depuis longtemps d’avis que le Conseil de sécurité ne sert plus l’objectif pour lequel il a été créé – avec tout le respect que je vous dois.
Il représente la realpolitik de la Seconde Guerre mondiale, pas celle du XXIe siècle.
En tant que ministre des Affaires étrangères, j’ai fait partie d’un groupe de travail sur la réforme du Conseil de sécurité. Je suis consterné de constater qu’aucun progrès n’a été réalisé.
Pour demeurer crédibles, adaptés aux réalités et continuer de représenter une force de paix dans notre monde, les États Membres, en particulier les cinq pays membres permanents du Conseil de sécurité, doivent prendre à cœur la nécessité de réformer le Conseil de sécurité.
Une autre demande que je formule aujourd’hui est celle d’un cessez-le-feu et d’un chemin vers la paix.
Je vous remercie.